jeudi 17 avril 2014

soumission consentie au dénudement social

On peut se demander quel sera l'avenir de la street photo à l'ère du "Google glass". Ces dispositifs nomades - encore expérimentaux (on est au stade de beta-test) permettent un enregistrement vidéographique et photographique diffusé en temps réel sur le net... déjà l'impact social se fait sentir puisque nombre de porteur de ces "lunettes" se font interpeller voire agresser par ceux qui se sentent filmés contre leur gré et ne supportent pas de voir leur "privacy" impunément violé. Il est vrai que le google-glassing pose de sérieux problèmes éthiques et juridiques quant à la délimitation entre l'espace public et l'espace privé et sur le sacro-saint droit à l'image. 

On ne peut dire quel sera l'impact du google-glassing sur la pratique photographique, sans doute sera-t-il aussi profond que celle résultant de la généralisation des smartphones : chacun-e est photographe, chacun-e cherche sa minute de célébrité sur youtube, picasa ou flickr en exposant ses narcissiques selfies... par ailleurs le smartphone induit une pratique spontanée de la photo de rue, des instantanés qui ne prétendent pas à la perfection technique et se diffusent via des applications du style "instagram"... l'esthétique qui s'en dégage rappelle celle des Lomo et autres appareils basiques, prisés en raison même de leur imperfection...

Le google-glassing risque, par la révulsion qu'elle inspire, de sonner le glas de la photo de rue ? rappelons ici les règles du street photographer : il s'agit de prises de vue dans l'espace public ou adjacent à l'espace public ; l'humain est le sujet de la photographie ; il s'agit de photographies sur le vif, de sujets "candides", c'est à dire qui ne posent pas, même s'ils constatent la présence du photographe. Celui-ci peut être discret mais ne "vole" pas l'image en agissant à l'insu de tous. Certains street photographers peuvent être relativement invasifs, prenant des plans très rapprochés. Une règle éthique généralement respectée est de ne pas photographier des personnes en situation de détresse, de souffrance ou d'une manière qui serait dégradante, même si l'humour de situation est souvent recherché.

En principe, il n'y a pas de restriction légale pour photographier dans l'espace public mais, dans nos pays, le droit à l'image suppose que le photographe demande l'autorisation explicite (écrite de préférence) du sujet pour publier son image. Dans la pratique, cette obligation est difficilement applicable en street photography dans la mesure où on y prend sur le vif des passants qui ... passent et que l'on interpelle pas pour quémander son autorisation : une certaine prise de risque semble inhérente à la photographie de rue...qu'il convient de pratiquer avec tact, intelligence, sensibilité et prudence, particulièrement dans des contextes sociaux ou culturels où la photographie est peu acceptée.

Il y a un paradoxe, manifestée par les protestations contre le google-glassing et les revendications du droit à l'image, entre ce souci de la vie privée et l'omniprésence des dispositifs légaux de surveillance vidéo... ceux qui protestent contre les dispositifs panoptiques de contrôle et de pouvoir, n'hésitent pas à s'exhiber, ou afficher leurs goût et opinions sur des réseaux sociaux où la délimitation public/privé est mouvante, peu claire et déterminé plus par les intérêts commerciaux des fournisseurs de service que par le respect de ces consommateurs, dont les infos personnelles qu'ils laissent circuler constituent une précieuse marchandise.

"je n'ai rien à cacher" affirme-t-on pour se sécuriser et accepter la prolifération des dispositifs d'intrusion, mais c'est oublier que même si nous ne commettons, aujourd'hui, aucun délit - et qui sait si nous n'en commettons-nous pas à notre insu - ce que nous laissons voir de notre vie privée peut aisément être utilisé contre notre intérêt, ou dans la perspective du renforcement du contrôle social à travers d'outils de manipulation de plus en plus sophistiqués. Il n'y pas que la sphère de l'économie marchande qui est impliquée, mais aussi celle de la vie politique, y compris dans une démocratie - purement formelle - qui ne (sur)vit que par la manipulation (électorale et post-électorale) de l'opinion publique.



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